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Patrick Santilli

Le patient désigné, c’est quoi?

Quand l’inconscient familial nuit à l’épanouissement de l’enfant

En psychologie, le concept de patient désigné fait référence à un membre d’un groupe ou d’une famille identifié comme ayant un problème spécifique, qui est en réalité le résultat de dysfonctionnements au sein du système entier. La thérapie systémique, par exemple, vise à résoudre ces problèmes en modifiant les dynamiques relationnelles et les schémas de communication dans le système, plutôt que de se concentrer uniquement sur l’individu « malade ».

Dans cet article, nous allons nous pencher sur le cas d’un enfant qui devient patient désigné au sein d’une famille.

La famille est souvent considérée comme le refuge le plus sûr pour les enfants, mais c’est aussi le lieu où ils se forgent en accord avec les dynamiques familiales. Dans certains foyers, la dynamique peut être telle que l’enfant est désigné comme le « problème », voire « le patient » si celui-ci est amené à consulter. Le concept de patient désigné nous permet d’explorer comment un enfant peut devenir le révélateur de dynamiques familiales qui, bien souvent, le dépassent.

L’enfant devient patient désigné lorsque les parents sont victimes d’un mécanisme psychologique non conscient qui les pousse à relever les dysfonctionnements de l’enfant et leur évite ainsi de procéder au bilan de leurs propres dysfonctionnements. En s’épargnant ce face à face avec leur réalité personnelle et individuelle, les parents relèguent au second plan, notamment, leurs conflits conjugaux, leurs problèmes financiers, leurs soucis de santé mentale ou leurs dépendances. Toute l’attention familiale est donc portée sur l’enfant : Comme c’est bien pratique ! On dira volontiers qu’il « fait des bêtises », « a de mauvaises notes », « n’écoute pas », « est impertinent », « manque d’ambition », « n’exploite pas son potentiel », etc. Les problèmes plus sérieux restent de ce fait irrésolus au sein de la famille.

Etude de cas

Prenons l’exemple de la famille de Néo. Néo est un jeune garçon de 16 ans qui a des difficultés comportementales. Dès son retour de cours, il s’enferme dans sa chambre pour jouer aux jeux vidéos et ne sort que tard le soir, sans un mot, pour se servir au frigo et repartir dans sa chambre. Tout cela sous le regard de ses parents dépités. Lorsque les parents de Néo (appelons-les Morpheus et Trinity) cherchent le contact, Néo, au mieux reste distant et fait preuve, au pire, d’impertinence ou d’agressivité. Morpheus et Trinity, résolus, décident alors de l’emmener voir un psychologue : « On s’inquiète pour Néo ».

Ce n’est que plus tard, suite à une enquête minutieuse, que le psychologue comprend que Néo fait fonction de patient désigné. Le jeune garçon raconte que ses parents le harcèlent quant à ses résultats scolaires, lui demandent des comptes perpétuellement et les leçons de morale (une fois par papa, une fois par maman) se multiplient : au supermarché, dans la voiture devant la pompe à essence et même à la maison, à la sortie des toilettes. Néo se sent fliqué. Le psychologue invite alors les parents en séance.

A ce moment-là, le psychologue s’aperçoit que des difficultés de communication semble être installées au sein du couple. Morpheus et Trinity, tendus, rencontrent manifestement des problèmes conjugaux, malgré leurs efforts pour faire bonne figure. Morpheus, en plus, selon les dires de Néo, est un peu trop porté sur la bouteille. Mais ça non plus, ils n’en parlent pas. A quoi bon ?

Morpheus et Trinity, par contre, réitèrent l’incrimination de leur fils. Lorsque le psychologue emmène les parents sur le terrain du couple, ces derniers s’étonnent : « Mais enfin ! Nous sommes là pour parler de notre fils ! »

Trois dynamiques se dessinent alors clairement :

1- Le focus sur Néo fait partie d’une stratégie inconsciente de diversion pour le couple. Le noeud du problème conjugal est compliqué, fatigant, éreintant. Plutôt que de s’atteler à le régler, Morpheus et Trinity revêtent leur casquette de parents, ce qui leur permet de faire une pause dans leur casse-tête marital.

2- En plus de distraire le couple, ce focus sur Néo unit le couple en période d’incertitudes : en désaccord sur tout le reste, Morpheus et Trinity font activement front face à l’enfant, en retrouvant une certaine forme de cohésion et d’unité.

3- Pour ce faire, ils se concentrent sur la problématique de Néo sans réaliser qu’ils participent à la faire exister : sans cette pression permanente, Néo serait sûrement plus ouvert au partage avec ses parents et leur parlerait de manière plus apaisée. Avec un peu plus d’honnêteté de la part de Morpheus et Trinity, la relation parents-enfant serait probablement plus authentique et Néo cesserait de se sentir le bouc-émissaire de la famille. En faisant face aux véritables problématiques, les parents pourraient ainsi amorcer leur chemin vers la résolution du problème.

Un risque non négligeable pour un enfant évoluant dans une telle configuration consiste à accepter, voire renforcer, son statut de patient désigné. Il a l’impression, plus ou moins consciemment, que sans ses propres problèmes, ses parents n’auraient certainement plus grand chose en commun et risqueraient la séparation. Afin de préserver une certaine forme de stabilité familiale, le psychisme d’un patient désigné peut lui faire accepter de camper son rôle, même si celui-ci est fortement désagréable à assumer. L’enfant qui entretient une attitude considérée « nocive » met en réalité en place un mécanisme de sauvetage d’urgence pour ce qu’il aura identifié comme un naufrage marital.

Evidemment, Néo est totalement fictif et sert la visée de cet article. Mais des situations telles que la sienne sont légion. De nombreux individus sont désignés comme le « problème » dans leur famille, qu’ils soient adultes, enfants, parents, fils/fille, beau-fils/belle-fille, oncle/tante …

Conséquences

Un individu patient désigné peut pâtir de ce statut et ce sur le long terme. Il peut notamment rencontrer des difficultés telles que :

  • Un sentiment d’anxiété, de dépression, de culpabilité ou de honte en raison de son rôle dans la famille et des attentes qui lui sont imposées.
  • Une faible estime de soi : L’individu peut développer une faible estime de lui en pensant qu’il est responsable des problèmes de la famille ou en se percevant comme étant défectueux.
  • Des problèmes relationnels : Les individus ayant grandi dans des environnements dysfonctionnels peuvent avoir du mal à établir et à maintenir des relations saines à l’âge adulte. Ils peuvent reproduire des schémas relationnels malsains ou avoir des attentes irréalistes en matière d’amour et de soutien.
  • Des difficultés d’adaptation : L’individu peut développer des comportements d’adaptation négatifs, tels que la consommation de drogues, l’alcoolisme, l’automutilation ou d’autres comportements autodestructeurs pour faire face à la douleur émotionnelle.
  • Des problèmes de confiance : Un patient désigné peut avoir du mal à faire confiance aux autres, en particulier à ceux qui sont en position d’autorité, en raison de son sentiment de trahison et d’abandon par sa famille.
  • Des difficultés académiques et professionnelles : Les problèmes émotionnels et relationnels peuvent avoir un impact sur la réussite scolaire et professionnelle de l’individu, limitant son potentiel pour atteindre ses objectifs.

Diagnostic et solutions

Heureusement, il existe des solutions :

Au moment du diagnostic, la plupart des familles tombent des nues lorsqu’ils se rendent compte de leur responsabilité et du fait qu’ils nourrissent, bien malgré eux, le malheur de l’un des leurs. La première condition nécessaire à l’amélioration de la situation réside dans l’HUMILITÉ des intéressés qui doivent pouvoir s’ouvrir à la remise en question.

Le nez sur le « problème », ils doivent ensuite DÉZOOMER pour reconsidérer la dynamique familiale dans son ensemble et agir adéquatement.

Il est souvent difficile pour les familles (essentiellement pour des parents) d’accepter la situation globale et le mal qui en découle. Il devient alors impératif de remplacer tout sentiment de culpabilité, qui peut être immobilisant, par une VOLONTÉ de changer la situation.

Ensuite, la clé de la résolution réside dans leur RESPONSABILISATION. Il va être essentiel de traiter les problèmes sous-jacents dans la famille, que cela passe par une thérapie individuelle de l’un des membres, une thérapie de couple, voire une thérapie familiale pour que l’ensemble de la famille puisse s’exprimer et travailler.

Il est également important d’écouter et de SOUTENIR celui qui a été le patient désigné, de lui donner l’espace pour exprimer ses sentiments, de renforcer sa confiance en lui et de lui montrer que l’on relâche la pression. Dans ce nouvel espace de confiance où chacun se sera responsabilisé pour ne plus isoler celui qui a été le patient désigné, ce dernier pourra s’épanouir sur de nouvelles bases.

Conclusion

La situation du patient désigné est une dynamique psychologique courante dans les familles. Tel un rideau devant un débarras désordonné, ce statut de patient désigné occulte de nombreux problèmes. Souvent inconscient et issu d’intentions positives, il peut malgré tout se montrer destructeur. Il est important de reconnaître les signes de cette dynamique et de traiter les questions sous-jacentes pour aider la personne concernée à se développer sainement et à établir des relations positives dans le futur. L’humilité et l’implication sont clés : si vous n’acceptez pas de participer à la résolution de la problématique, la personne « problème » a de grande chance de rester un problème. Si vous êtes vous-même ce patient désigné, sachez qu’il est très compliqué de faire entendre raison aux personnes vous entourant sans avoir recours à un tiers, extérieur à la structure familiale. Dans ce cas, il est judicieux de consulter afin de procéder à une résolution de manière stratégique et encadrée.

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